Utilisation des Systèmes d’Information : la rencontre entre la perception et l’émotion
Les statistiques sont accablantes : plus de 90 % des coûts liés au développement des technologies de l’information interviennent après les phases de mise en œuvre, souvent en raison d’une mauvaise conception.
En conséquence, l’introduction de nouvelles plates-formes informatiques au sein des entreprises repose plus que jamais sur une question d’équilibre. Il s’agit à la fois de mettre en place une solution technique adaptée, tout en réussissant à faire adhérer en interne à l’utilité et à la convivialité de l’outil. Au-delà du côté fonctionnel, la dimension émotionnelle doit elle aussi être prise en compte pour assurer une dépense judicieuse des budgets SI.
On n’imagine pas forcément que les systèmes d’information puissent avoir un impact émotionnel sur la performance des entreprises. Pourtant, il paraît évident qu’il vaut mieux induire une réponse positive des employés à l’adoption de nouveaux outils et plates-formes, plutôt que de les imposer sans réflexion et sans bon sens. Des recherches se sont déjà intéressées à cette question psychologique complexe, en cherchant à identifier et à comprendre différentes notions garantissant le succès d’un projet informatique : esthétique, satisfaction, motivation ou encore plaisir.
Toutefois, considérer les émotions en soi (qu’elles soient positives ou négatives) plutôt que leur interprétation, et de quelle manière la perception des outils informatiques peut générer des émotions encourageant ou décourageant leur adoption, fournit une piste jusque-là inexplorée pour transformer les projets informatiques en de véritables succès sur le lieu de travail.
Percevoir l’utilité et la facilité d’utilisation
Des recherches se sont intéressées dans le passé à la façon dont les utilisateurs acceptent la technologie et continuent à travailler en s’attardant principalement sur la notion de perception. En 1989, le “modèle d’acceptation de la technologie” est apparu comme un moyen d’expliquer le processus cognitif expérimenté, notamment en ce qui concerne l’opinion d’un utilisateur sur la convivialité et l’utilité d’un outil professionnel.
Des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et Linkedin sont d’excellents exemples d’outils utilisés (ou non) en fonction de leur perception première. A leurs débuts, Facebook et Twitter ont souvent été rejetés comme outils de communication professionnelle. Cette perception a pourtant considérablement évolué au cours de ces dernières années, alors que les entreprises ont découvert le potentiel marketing et de communication de ces plates-formes. Pour sa part, LinkedIn a toujours été perçu comme une technique crédible pour se constituer un réseau professionnel, du fait de sa structure, de ses contenus et des outils mis à la disposition de ses utilisateurs. Même principe concernant l’éternel débat PC contre Mac, qui dépend largement des mérites attribués par leurs utilisateurs à chaque système, notamment en termes de facilité d’utilisation et d’adéquation à un contexte personnel ou professionnel.
Faire le lien entre perception et émotion
Du point de vue des entreprises, la question n’est pas tant de mettre en place les outils informatiques les plus performants, mais surtout ceux qui sont les plus aptes à susciter une réponse émotionnelle donnée (c’est-à-dire une « intention comportementale ») de la part de leurs utilisateurs cibles, lesquels sont les plus susceptibles de susciter l’adhésion. En termes de conception informatique et de développement, il ne faut donc pas négliger les processus émotionnels expérimentés par les utilisateurs.
Au niveau de la direction de l’entreprise, elle devrait également accorder une attention particulière à l’impact négatif potentiel occasionné par le rejet de nouveaux outils informatiques sur leur performance globale. Un intranet haut en couleurs mais coûteux, alors qu’il s’avère plus difficile à utiliser que son prédécesseur plus austère, affectera sans aucun doute le moral et la motivation des troupes.
Ce texte tire son inspiration de l’article “Interaction entre la cognition et l’émotion dans l’utilisation des systèmes d’information : l’émotion comme médiateur entre la cognition et l’utilisation du SI”, écrit par Bouchaib Bahli et Inju Yang et publié dans la revue “The Journal of Enterprise Information Management” (28, 3, 2015).
Bouchaib Bahli est Professeur à Rennes School of Business. Ses domaines de recherche comprennent l’externalisation IT, la gestion des risques des projets de développement de logiciels et la modélisation d’adoption des technologies de l’information. Ses publications sont parues dans de nombreuses revues : “Information and Management”, “Journal of Information Technology”, “OMEGA”, “Communications of AIS” ou encore “Requirement Engineering Journal”.
Inju Yang est Professeur Assistant à EDC Paris Business School, au sein du département des Systèmes d’Informations.