Stratégie à haut risque en période de crise : le point sur les acquisitions bancaires
Que les banques adoptent une stratégie d’expansion via la technique des acquisitions n’est pas nouveau. L’opinion reste cependant divisée sur leur capacité à créer de la valeur à long-terme. D’autant que la crise financière mondiale qui a débuté en 2008 est venue alimenter le débat. Alors que la tendance à l’adoption de stratégie à faible risque est de rigueur, une analyse approfondie de l’impact des acquisitions par les banques de détail et d’investissement est nécessaire. A la clé, il s’agit de mieux comprendre, en ces temps économiques difficiles, les ramifications de ces opérations.
Si la crise financière a apporté un élément positif, c’est dans le contrôle accru des banques et la pression qu’elles subissent pour agir avec davantage de responsabilité et de transparence. On n’oublie pas pour autant l’adoption passée – et parfois encore présente – de nombreuses stratégies à haut risque : en cas d’échec, ce sont les contribuables qui paient en raison du soutien gouvernemental en place en cas de pertes financières importantes. Certaines leçons doivent en être tirées. Dans le cas particulier des acquisitions bancaires, les avantages et les risques impliqués sont les mêmes, dans un contexte pré -comme post- 2008. Une solution : répartir les banques en sous-catégories, pour analyser et mesurer les risques encourus par chacune.
Acquérir ou ne pas acquérir ?
Selon les recherches sur les acquisitions bancaires, la situation peut être vue selon deux angles différents. Sur le plan positif, ces opérations offrent aux banques un fonctionnement plus efficace et une meilleure diversification des risques. En effet, elles peuvent ainsi répartir leurs activités sur plusieurs lignes de produits et implantations géographiques, réduire les risques de liquidité et de solvabilité, ou encore bénéficier d’importantes économies d’échelle. De manière plus négative, les banques qui s’engagent dans ce processus peuvent s’exposer à des risques plus élevés en termes individuel et systémique, mais aussi devenir une structure plus opaque et plus hybride avec l’augmentation de sa taille, et considérer aussi qu’elles sont trop grosses pour échouer. Des risques inutiles continuent à être pris par les établissements bancaires, forts du soutien du gouvernement mentionné plus haut en cas d’échec réel. Il ne faut cependant pas mettre tout le monde dans le même panier : c’est ce qu’illustre une étude récente qui s’est intéressée aux banques de détail et d’investissement.
Mesurer le risque et la solvabilité
L’étude en question se concentre sur 41 des plus grandes banques européennes entre 1990 et 2006, représentant pas moins de 1603 transactions pour une valeur totale de 813 milliards de dollars. Des techniques empiriques et mathématiques ont été appliquées en vue d’effectuer trois analyses principales. Tout d’abord, le niveau de risque bancaire reposant sur la distance au défaut, c’est-à-dire la distance entre la valeur marchande des actifs d’une banque et la valeur comptable de ses dettes. La deuxième analyse consistait à mesurer le niveau de solvabilité sur la base des données issues d’états financiers et d’une estimation de la rentabilité de l’actif et du ratio de fonds propres. La troisième, enfin, concernait le niveau de corrélation par banque établi entre le risque en 2008, et la nature et le volume des acquisitions entre 1990 et 2006.
De bonnes ou mauvaises nouvelles ?
Les résultats de l’étude révèlent un fossé assez net en Europe entre les répercussions potentielles des stratégies d’acquisition risquées des banques d’investissement (au pire) par opposition aux banques de détail (au mieux). La troisième catégorie de banques mutualistes (c’est-à-dire non cotées en bourse, telles que les sociétés de crédit immobilier) apparaît moins exposée au risque d’échec. Un grand nombre de banques européennes ont introduit de nouvelles mentalités et manières de faire des affaires en vue d’obtenir des résultats immédiats, contrairement à de nombreuses banques asiatiques qui ont, par exemple, maintenu fermement leur ancrage dans le patrimoine local et les pratiques commerciales de leur région, comme le reflètent leur structure interne et leur mode de gouvernance. Résultat : des méthodes multiples et contradictoires, la mise au ban des partisans d’une approche plus conservatrice, et l’adoption de politiques à haut risques avec les conséquences qu’on connaît désormais. Que peut-on donc retenir de cette scission entre les banques de détail et d’investissement, et de l’importance d’une culture d’entreprise cohérente au sein de ces institutions ?
Prendre des risques, mais de manière calculée
Les résultats de l’étude concernant les banques de détail sont encourageants ; ils doivent être contrebalancés par le risque que d’autres banques continuent de prendre, sur le postulat qu’elles sont trop grosses pour faire faillite. Cette prise de risque peut être évitée, sans bouleverser les structures de gouvernance au sein des banques, avec l’introduction d’une culture orentiée résultats. Il est vivement conseillé aux banques qui envisagent de se lancer dans une acquisition d’appliquer aux institutions qui les intéressent l’approche relative aux banques de détail et d’investissement mentionnée, afin de réduire au minimum le facteur risque. Et quel que soit le type de banque, il faut mettre fin au phénomène du “manager à l’orgueil démésuré”, où forts de leurs précédents succès, des chefs d’entreprise pensent avoir le droit de continuer à choisir les mêmes options à haut risque. Le paysage bancaire a considérablement évolué depuis 2008 : il nous faut donc continuer à investir (avec tous les risques nécessaires), mais sur des terrains plus sûrs et des projections plus soigneusement calculées.
Ce texte s’inspire de l’article “La capacité d’acquisition des banques et la vulnérabilité du risque financier”, écrit par Saqib Aziz, Michael Dowling et Jean-Jacques Lilti, et publié dans la revue “Bankers, Markets & Investors” (143, 2016).
Michael Dowling est professeur assistant de finance et de comptabilité à Rennes School of Business. Ses domaines de recherche comprennent la tarification des actifs, le financement des PME, le financement comportemental des entreprises, la psychologie des investisseurs et le financement de l’énergie.
Saqib Aziz est professeur assistant en finance et comptabilité à Rennes School of Business.
Jean-Jacques Lilti est professeur de finance à l’université de Rennes.