L’importance du modèle économique dans la commercialisation d’une innovation technologique
Le marché des technologies est aussi volatile que potentiellement rentable. La demande d’innovation et la rapidité du progrès technologique sont telles que la concurrence est particulièrement rude. Lors du lancement d’un nouveau produit, il est donc essentiel de savoir convaincre les consommateurs qu’il répond à leurs besoins.
Mais par où commencer ? Par la technologie elle-même ? Par l’analyse du marché ? Et que faire si l’une des étapes du processus de lancement échoue ? La définition préalable d’un modèle économique pertinent peut faire toute la différence.
Un processus de lancement considéré comme linéaire comprend généralement les étapes suivantes : définition d’une proposition de valeur pour déterminer la valeur ajoutée du produit/service, segmentation du marché pour cibler les consommateurs, choix d’un modèle de rémunération pour décider comment vendre, organisation de la commercialisation, estimation des coûts et des bénéfices potentiels. Le produit/service est alors mis sur le marché. Mais que se passe-t-il si un problème survient dans ce processus et si la « chaîne » est rompue ? Faut-il revenir à la case départ et tout recommencer ?
La réussite, une affaire de bon sens commercial
Il est soi-disant plus facile de vendre un mauvais produit avec un bon modèle économique qu’un bon produit avec un mauvais modèle économique. Il est donc essentiel de bien s’y prendre dès le départ, en théorie comme en pratique. Dans le domaine technologique, l’identification d’un concept de valeur pertinent et de la stratégie de création de valeur correspondante est fondamentale. L’absence de réflexion sur l’avantage concurrentiel du produit/service diminue ses chances de réussite.
Les étapes mentionnées précédemment sont essentielles : il est important de connaître l’environnement du marché et les cibles prioritaires, ainsi que d’estimer précisément les ressources à mobiliser avant le lancement. Mais l’erreur est humaine… Alors que faire si le succès n’est pas au rendez-vous ? Une approche plus cyclique des opérations peut fournir une réponse.
Et si on ne réussit pas du premier coup…
Une étude menée sur quatre entreprises aux offres distinctes (produits chimiques et engrais, matériels, logiciels et publicité en ligne, équipements de nanotechnologie) a permis d’analyser leurs réussites et leurs échecs relatifs et, surtout, leur capacité à adapter et à revoir leurs modèles économiques. Cette étude propose une perspective entièrement nouvelle sur la séquence d’événements qui conditionne la réussite d’un modèle économique. Elle décrit plus spécifiquement comment les entreprises réagissent lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu.
Tout d’abord, en cas de segmentation incorrecte, il faut pouvoir revoir et modifier l’analyse du marché. Et surtout, cette analyse et la proposition de valeur initiale doivent être effectuées au plus tôt, bien avant la planification puis la mise en œuvre du concept de produit. Avec cette approche cyclique, les étapes listées précédemment peuvent évoluer durant le processus et rester interconnectées. L’entreprise a droit à l’erreur et peut y remédier. Cette démarche en apparence tâtonnante lui permet au moins de revenir sur des décisions financières ou marketing et de redresser la situation.
Combler les écarts entre théorie et pratique
La commercialisation d’un produit/service est profondément ancrée dans la théorie et la pratique. La conceptualisation de sa valeur potentielle doit précéder la définition du modèle économique et la mise sur le marché, avec pour conséquence une création de valeur. L’approche cyclique préconisée ci-dessus permet aux entreprises d’établir un lien entre la théorisation initiale de la valeur et sa création effective. Le rappel d’un modèle défectueux par un constructeur automobile pourrait être assimilé à une faute professionnelle, mais au moins cette initiative montre une capacité à reconnaître ses erreurs et à en tirer des leçons, et elle témoigne d’une volonté de relancer une offre plus performante.
L’ensemble du processus prend évidemment beaucoup de temps. Aussi les entreprises peuvent-elles envisager d’interagir avec les consommateurs tout en développant leur modèle économique, au lieu de se contenter d’attendre leurs réactions après la mise du produit sur le marché ? Leurs réseaux de partenaires peuvent également contribuer à la création de la proposition de valeur : les enseignements tirés des échanges avec d’autres interlocuteurs ne peuvent qu’être bénéfiques à long terme. Ces deux exemples illustrent bien l’orientation à prendre : ne pas simplement s’intéresser aux caractéristiques et au potentiel de son innovation, mais toujours se poser la question cruciale de son impact sur le marché, condition indispensable à toute commercialisation réussie.
À suivre…
Le débat reste évidemment ouvert et offre encore de nombreux sujets de réflexion aux chercheurs comme aux professionnels de l’entreprise. Comment, par exemple, le caractère complexe et radical des innovations technologiques peut-il influer sur leur mode de commercialisation ? Les conditions de lancement varient toujours d’un pays à l’autre, que ce soit en termes de contraintes administratives, d’infrastructures ou de temps passé sur le développement de modèles économiques. Il en va de même pour le management de la phase de conceptualisation et de proposition de valeur. Mais une chose est sûre : il est temps d’envisager un processus plus fluide et cyclique permettant de rectifier les erreurs, à condition, bien sûr, de consacrer suffisamment de temps à l’analyse du marché et à la définition d’une proposition de valeur pertinente dès le départ.
Cet article est basé sur l’étude An exploration of business model development in the commercialization of technology innovations, [Exploration du développement de modèles économiques dans la commercialisation d’innovations technologiques] réalisée par Viatcheslav Dmitriev, Mark Palmer, Dirk Schneckenberg, Geoff Simmons et Yann Truong et publiée dans la revue R&D Management – 2014 (volume 44, numéro 3).
Yann Truong est professeur associé à l’ESC Rennes School of Business, dans le département Stratégie et marketing.
Mark Palmer est responsable du marketing et chargé de cours en marketing à l’université de Birmingham (Département du marketing).
Dirk Schneckenberg est professeur associé à l’ESC Rennes School of Business, dans le département Stratégie et marketing.
Geoff Simmons est maître de conférences à la Queen’s University de Belfast (École de management).
Viatcheslav Dmitriev est doctorant à l’ESC Rennes School of Business, dans le département Stratégie et marketing.