Logiciels open source et propriété intellectuelle : quelles conséquences sur l’entreprise ?
Les logiciels open source offrent une opportunité unique aux entreprises qui souhaitent innover dans le domaine des nouvelles technologies tout en réduisant leurs coûts.
Il est cependant important de mettre en place une stratégie de propriété intellectuelle viable : les possibilités commerciales offertes par ces programmes, générés par la communauté et prêts à l’emploi, peuvent s’avérer très coûteuses.Pour ce faire, les entreprises ont notamment le choix entre les brevets et le dépôt de marque et leur appartient de retenir l’option qui a la plus en adéquation avec les attentes des consommateurs, leur identité de marque ainsi que la protection juridique nécessaire.
Depuis leur émergence à la fin des années 1990, les logiciels open source représentent une alternative de choix pour les entreprises désireuses de développer des services IT à un coût inférieur que lors du développement de plateformes traditionnelles. Les détracteurs de cette approche pointent ses conséquences sur l’identité et sur la réputation de la marque : son potentiel de personnalisation est forcément moindre que dans les démarches sur-mesure. Les supporters de l’open source, en revanche, soulignent sa facilité d’utilisation, ses coûts de développement plus faibles et notamment ses évolutions selon un mode collaboratif. Les entreprises réalisent en effet l’importance de l’implication de leur communauté virtuelle dans leurs initiatives : elles ont conscience que les utilisateurs sont de plus en plus actifs dans les processus de l’entreprise.
Les problématiques relatives au copyright et à la propriété intellectuelle doivent cependant être traitées, en lien avec la stratégie globale de l’entreprise et avec la valeur potentielle du produit final.
Open source : quel droit de propriété ?
Il est naturel que les entreprises proposant des plateformes qui reposent sur des logiciels open source cherchent un haut niveau de protection juridique. A cet égard, les logiciels ouverts ont l’avantage d’avoir été utilisés, et donc légitimisés, par d’autres entreprises à l’occasion de leurs différentes phases de développement. Le désir de protéger un programme et d’en revendiquer la pleine propriété demeure cependant : les entreprises doivent décider entre obtenir les droits d’une technologie via un processus de protection par marque déposée, ou alors en sécurisant l’usage de leur plateforme IT via un dépôt de brevet. Le débat ne s’arrête cependant pas avec la question de la propriété intellectuelle. L’impact de cette stratégie pèse aussi sur la valeur d’une entreprise.
Une collaboration à moindre coût ou une protection de niveau premium ?
La nature collaborative des logiciels open source attribue aux attentes et aux requêtes utilisateurs plus d’importance que d’habitude. Si les clients sont prêts à payer pour une plateforme et un service IT reflétant l’identité et la réputation de la marque, avec à la clé une propriété totale de la plateforme et de la technologie, ils ont plus de chances d’investir dans une marque déposée plus sûre mais aussi plus coûteuse. Les logiciels open source sont plus appropriés aux utilisateurs qui recherchent des solutions low-cost, tant dans leur nature, leur utilisation et leur niveau de protection qu’en termes de stratégie de marque. Il faut en outre moins de démarches administratives pour garantir une protection partielle, laquelle coûte moins cher et s’avère moins chronophage qu’un dépôt de marque complet.
Une étude récente s’est intéressée aux entreprises de l’industrie logicielle figurant dans le classement Fortune Global 500 entre 2003 et 2009. Elle révèle que lorsqu’il est question de logiciels open source, les brevets seraient la stratégie la plus appropriée en termes de coûts. Sur cette base, ces entreprises atteindraient une valeur plus importante dans le cadre de leurs actions commerciales. Une stratégie de marque déposée dans un contexte open source occasionnerait en revanche un déclin de la valeur. Ces solutions, qui requièrent en effet des compétences en termes d’utilisation et de maintenance, ne correspondent pas forcément aux attentes des consommateurs qui sont prêts à payer un prix premium pour un package prêt à l’emploi. Les entreprises doivent donc faire face à un problème de taille : comment se positionner dans cette opposition permanente entre une approche centrée sur les coûts et une approche centrée utilisateur pour définir leur stratégie de propriété intellectuelle ?
De la mise en œuvre technique à la stratégie commerciale
Ce dilemme souligne à quel point la commercialisation de logiciels open source est devenue importante dans la génération de valeur financière : ce type de produits est plus que jamais impacté par les stratégies de protection des entreprises et par le niveau d’adéquation entre leur choix final et les exigences des consommateurs. Cependant, les entreprises doivent toujours garder à l’esprit : le lien de leur business model avec le contexte IT et juridique.
La mutation des logiciels open source en véritable stratégie commerciale à part entière oblige les entreprises à reconsidérer leur business model. Les managers doivent déterminer la meilleure adéquation entre leur politique de propriété intellectuelle et leur business model pour créer de la valeur. L’étude mentionnée plus haut montre que des stratégies divergentes peuvent porter atteinte à la performance d’une entreprise : les nouvelles technologies ne sont plus un simple outil à mettre en place et à utiliser sans se poser de questions. Le cas des logiciels open source le démontre parfaitement : les technologies sont en lien étroit avec de nombreuses problématiques, qu’il s’agisse d’aspects juridiques, de satisfaction client, de réputation de la marque ou encore de stratégie commerciale de l’entreprise.
L’article s’inspire de la publication “L’impact de la commercialisation des logiciels open source sur la valeur de l’entreprise”, par Dilan Aksoy-Yurdagui dans la revue Industrie et innovation (volume 22/1, 2015).
Dilan Aksoy-Yurdagul est professeur assistant en stratégie et en innovation à l’ESC Business School de Rennes. Ses domaines de recherche comprennent l’innovation ouverte et utilisateur, le management de la technologie et la propriété intellectuelle.